EXTRAIT DU LIVRE « PUTAIN VOTONS », John Paul Lepers et Thomas Bauder
Editions « PRIVÉ »
PORTRAIT
Au milieu des années 1950, un personnage d’écolier facétieux fait
son apparition dans la presse française : le Petit Nicolas de Sempé et
Goscinny. À peu près au même moment, le 28 janvier 1955, Nicolas, Paul,
Stéphane Sarközy de Nagy-Bócsa voit le jour à Paris. Lui aussi, on
l’appellera plus tard « le Petit Nicolas », non seulement parce qu’il
n’est pas très grand, mais aussi pour bien marquer l’opposition avec
celui qu’on surnomme « le Grand » : Jacques Chirac.
Nicolas naît dans une famille assez marginale pour l’époque. Son père,
qui a fui son pays en 1944, est issu de l’aristocratie hongroise.
Publicitaire le jour, mari volage le soir, il abandonne sa famille du
jour au lendemain. La mère de Nicolas, Andrée, se retrouve seule avec
trois garçons, Guillaume, François, le petit dernier, et Nico, qui n’a
que cinq ans. La famille s’installe dans le XVIIe arrondissement à
Paris, chez le grand-père maternel. Maman reprend ses études et
deviendra avocate.
Enfant de la bourgeoisie gaulliste, Nicolas est, comme pas mal de
gosses, perturbé par le départ de son père. Petit garçon turbulent,
boudeur, il se bagarre souvent avec ses frères. Élève moyen, il devra
même redoubler sa sixième. Alors que son père se remarie trois fois de
suite, Nicolas refuse de le voir pendant trois ans.
En mai 68, il possède déjà des convictions gaullistes, mais, comme il
n’a que treize ans, sa mère refuse qu’il aille manifester son soutien
au général sur les Champs-Élysées.
En 1973 il obtient son bac et veut devenir avocat. À la fac de
Nanterre, il côtoie les gauchistes, mais lui est de l’autre bord et
adhère à l’UDR, le vieux parti gaulliste. « Un jour, je serai président
de la République », confie-t-il à ses proches, stupéfaits. Charles
Pasqua, baron de Jacques Chirac dans les Hauts-de-Seine, le prend sous
son aile. En 1977, il impose Nicolas sur la liste municipale de
Neuilly. Mais, six ans plus tard, Nicolas va le trahir en se faisant
élire à sa place à la mairie de la ville la plus riche de France. Nous
sommes en 1983. Nicolas Sarkozy a vingt-huit ans. Député à trente-trois
ans, il sera réélu à chaque consultation.
En 1994, il prend le parti d’Édouard Balladur contre Jacques Chirac :
c’est sa deuxième trahison. Raison invoquée : Chirac prône la rupture
alors qu’il faut à la France de la continuité, incarnée par Édouard
Balladur… Nicolas était le fils spirituel de Chirac, il est désormais
surnommé « le petit Connard ». Aux élections européennes de 1999, la
liste du RPR menée par Nicolas fait le score le plus bas de son
histoire. Sur cet échec, Nicolas se retire de la vie politique pendant
presque deux ans. À partir de 2001, Bernadette Chirac le fait revenir
en prévision de la campagne présidentielle. Son énergie le rend
indispensable à la majorité. En 2002, il est nommé ministre d’État,
mais il gardera, violant ainsi la loi sur le cumul des mandats, la
présidence du conseil général des Hauts-de-Seine.
Quant à sa vie privée avec Cécilia Ciganer-Albeniz, qu’il avait
rencontrée alors qu’il était maire le jour de son mariage avec
l’animateur de télévision Jacques Martin, elle a été médiatisée
jusqu’en mai 2005, date de leur première séparation. De leur union est
né un fils, Louis. Lors du sacre de Nicolas à la tête de l’UMP, le
petit bonhomme était apparu dans un film à la gloire de son père. Il
lui disait : « Bonne chance, papa ! ».

TOUS LES JOURS EN SE RASANT
« Le problème de Nicolas, ce ne sont pas ces adversaires. Le problème
de Nicolas, c’est Sarko. » Cette phrase ne m’a pas été dite par un
ennemi du candidat UMP, mais par un de ses proches, qui le connaît bien
et le voit presque tous les jours.
Hyperactif dans ses fonctions de ministre depuis maintenant presque
cinq ans, omniprésent dans les médias, il est longtemps apparu comme le
prochain président de la République, le seul qui pourrait répondre aux
problèmes des Français. Dans beaucoup de réunions familiales, au café,
au boulot, les discussions tournaient autour de ce prodige de la
politique, qui agissait là où les autres baissaient les bras.
À l’UMP, il a très vite incarné une nouvelle fierté, celle d’oser
revendiquer son appartenance à la droite ; enfin un responsable qui n’a
plus honte et qui n’est pas non plus plombé par les affaires qui
paralysèrent son camp pendant des années. Même si elles avaient fait «
pschit ! », pour cause d’immunité présidentielle, les casseroles de
Chirac étaient lourdes à porter. Même à gauche et chez les
abstentionnistes, Nicolas Sarkozy recueillait au moins la curiosité
qu’on accorde à celui qui fait ce qu’il dit. Pendant environ trois ans,
celui qui y pensait « tous les jours en se rasant le matin » semblait
invincible. Mais la fascination n’a qu’un temps, et son échec partagé
au référendum sur la Constitution européenne a commencé à brouiller les
cartes. Alors que Jacques Chirac tirait son épingle du jeu sur la
politique internationale, Nicolas Sarkozy était confronté à son bilan
moins spectaculaire qu’il ne l’avait tant annoncé. Et surtout « l’homme
» est apparu ! Aux qualités de Nicolas se sont ajoutés les défauts de
Sarko. Avec ses visites et ses déclarations intempestives en banlieue,
le candidat est apparu agressif, véhément, en proie à une impulsivité
qu’il ne contrôle pas. Le champion a commencé à inquiéter.
Sarko n’est pas un facho, comme certains, par facilité, essayent de
nous le faire croire. Jamais dans ses discours ou ses actes politiques
nous n’avons pu déceler le racisme ni la xénophobie. Certes Nicolas
Sarkozy drague ouvertement les électeurs du Front national par ses
déclarations au « Kärcher », certes ses attaques répétées contre les
magistrats qui « ne mettent pas assez de délinquants en prison » le
rangent dans la catégorie des démagogues qui, pour flatter le « bon
sens populaire », simplifient volontairement des réalités qu’ils savent
plus complexes… Il n’en reste pas moins un républicain particulièrement
attaché, de par ses fonctions ministérielles, au respect de l’ordre ;
et puis jusqu’ici il s’est montré soucieux, en tant qu’élu de la
République, du respect de la volonté populaire exprimée par suffrage
universel.
Au risque de choquer, et en premier l’intéressé lui-même, qui à
longueur de discours fustige le « laxisme » issue des idées de 68, je
dirai que Sarko est pour moi plutôt un « gauchiste de droite ».
Oublions donc un instant le ministre de l’Intérieur, forcément du côté
de l’ordre – c’est son boulot –, pour nous consacrer au bonhomme…
Comme les gauchistes de Mai 68, Sarkozy est un rebelle à l’autorité en
place. Comme eux, il prône la rupture et prétend briser les tabous. «
Il est interdit d’interdire », pourrait-il taguer sur les murs, lui qui
estime ouvrir les débats que les autres, qu’ils qualifient de «
conservateurs », ont jusque-là étouffés. « Jouir sans entrave »,
clamaient les baby-boomers qui en avaient assez d’une société qui
considérait le plaisir comme un péché… Pour Nicolas, ce serait plutôt «
réussir sans entrave », car la comparaison s’arrête là. Pour les
utopistes du printemps de mai, il s’agissait de construire une société
de l’amour et du partage ; Sarko, lui, c’est la société de la réussite
individuelle, et la sienne en particulier, qu’il met en avant…

Photo : Matthieu Mouraud (droits reservés)
J’AI VU SARKO PRÉSIDENT
J’étais présent aux côtés de Nicolas Sarkozy la veille du jour où il
fut élu président… de l’UMP. Le lendemain, le 28 novembre 2004, il
allait être élu triomphalement au Bourget avec 85 % des voix des
militants de l’UMP ; impossible alors de l’approcher. Le soir même, il
avait voulu réunir les jeunes de son parti, avec Faudel en people
jeune, deux ans avant Doc Gynéco. C’était à La Bodéga, une boîte de
nuit sous le chapiteau d’un ancien cirque, en lisière du parc de
Saint-Cloud, un rendez-vous habituel de la jeunesse dorée de l’ouest
parisien. Au terme d’une enquête de trois mois sur l’étoile montante de
la droite, j’ai eu, ce soir-là, l’occasion d’observer la bête politique
à son zénith. Un Nicolas décrispé, sincère, presque transparent, en un
mot : radieux. C’était juste avant ses déboires amoureux avec Cécilia.
Deux ou trois milliers de jeunes (un succès !) se pressaient autour de
la piste ronde. Ils étaient tout excités à l’idée de toucher celui qui
devait, à coup sûr, les mener à la victoire.
Nicolas était au centre de ce cercle, sous les projecteurs, devant
toutes les télés. Henry Marquis était à la caméra et nous étions restés
bloqués juste derrière Sarkozy, qui s’apprêtait à entamer un discours
alors que les militants en délire scandaient : « Sarko PrÉsident ! »
Le problème, c’est que, vu la taille du leader, un mètre soixante-dix
selon le ministère de l’Intérieur, en réalité un mètre soixante-huit
sans les talonnettes, personne ne pouvait le voir. Une petite estrade
avait bien été prévue, mais elle ne suffisait pas… Sarkozy eut alors
l’idée de faire asseoir tout le monde. D’abord les photographes qui
étaient juste devant, puis les jeunes : « Allez, essayez de vous
asseoir », répétait-il en abaissant ses bras de haut en bas, « et
jusqu’en bas », dit-il à ceux qui voulaient rester accroupis. Son
épouse, Cécilia Sarkozy, fut une des premières à s’exécuter, et bientôt
le calme s’installa sous le chapiteau de toile.
– Vous savez ce qu’on va faire ensemble ? On va rajeunir la vie politique française !
– Nicolas ! Nicolas !
La ferveur est palpable, l’image est étonnante. À 50 centimètres de
l’objectif, Nicolas nous tourne le dos, et comme lui nous avons les
projecteurs en plein dans les yeux. On voit bien sa main droite qui
rythme ses paroles. Tout le reste de l’image, embué par la lumière des
projecteurs, est rempli par des visages de jeunes disciples illuminés.
– Si vous voulez conquérir des galons, si vous voulez prendre des
responsabilités, vous allez les gagner avec votre travail, par votre
mérite et par vos efforts. Ce sont des valeurs républicaines et ce sont
les nôtres !
– Nicolas ! Nicolas !
Cette fois, les jeunes sont en délire. Henry tourne sa caméra vers le
bas. Ils sont là, agenouillés, comme en transe. Cécilia Sarkozy est au
premier rang, par terre, elle tend son téléphone au-dessus de sa tête
pour prendre une photo, et elle n’est pas la seule. Devant cette
assistance, presque couchée au sol, Nicolas Sarkozy est enfin comme un
géant. Des gouttes de sueur scintillent sur son visage en contre-jour.
Son bonheur est immense.
– Moi aussi, j’ai été comme vous, un jeune qui n’avait pas de relations, il y a presque trente ans !
– NICE ! répondent quelques voix dans la salle.
Les jeunes militants connaissent par cœur la carrière politique de leur
mentor. C’était effectivement à Nice, le 15 juin 1975, sa première
heure de gloire. En tant que délégué des jeunes de l’UDR dans les
Hauts-de-Seine, il était invité à prendre la parole dans un meeting. «
C’est toi, Sarkozy ? », lui demande un certain Jacques Chirac, « tu as
cinq minutes ? » Il n’a que vingt ans, et déjà l’ambitieux Nicolas ne
va pas obéir. Il va tenir la tribune pendant vingt longues minutes et
il ne pourra s’arrêter que devant un tonnerre d’applaudissements. Des
instants de plaisir intense, dont il reparle encore aujourd’hui avec
émotion. Ce soir-là, à La Bodéga, Nicolas Sarkozy revoit sans doute
tout le film de sa vie politique.
– J’ai besoin de jeunes libres ! Pas des jeunes à qui on explique ce
qu’ils doivent penser, je ne veux pas que vous soyez prisonniers, y
compris de ce que je pense moi-même ! Mes chers amis, je compte sur
vous ! Merci !
– Nicolas PrÉsident !
Demander aux jeunes militants l’autonomie intellectuelle et politique
vis-à-vis de leur idole et nouveau leader, voilà qui ne manquait pas de
sel ! Car la famille gaulliste, depuis l’époque du général jusqu’à
Jacques Chirac, s’est toujours constituée en suivant un « chef ». Mais
peut-être le jeune militant de Neuilly en avait-il souffert. En tout
cas, sur ce point-là comme sur d’autres, il marquait sa différence,
peut-être même son humanité, de toute façon son intelligence. Mais,
manifestement, les jeunes de l’UMP n’avaient pas ce soir-là entendu
cette phrase si étonnante. Non, ce qu’ils voulaient tous, c’était voir
et aussi toucher leur nouveau gourou, celui qui allait les amener à la
victoire.
Sous les ovations, Nicolas Sarkozy descend alors de son petit
piédestal. Voici maintenant les bousculades, les poignées de main et
les embrassades ; et puis les sourires et les « merci », dont il est un
spécialiste : « merci beaucoup », « merci, c’est gentil d’être venu »,
et surtout le « merci, hein ! », qui lui est si particulier. Une jeune
fille, elle aussi en sueur, lui tend un livre et un stylo. C’est son
dernier ouvrage à l’époque : La République, les Religions, l’Espérance.
– C’est grâce à vous que j’ai rejoint l’UMP, lui confit-elle dans un sourire rougissant.
– Merci, merci beaucoup !
Je sors mon micro :
– Ce sont vos nouveaux fidèles, ces jeunes ?
– Ils sont libres, ils sont formidables ! Merci à vous tous !
La ferveur militante dépasse le simple cadre de la raison politique. Et
Nicolas Sarkozy le sait bien, lui qui plusieurs fois après cette soirée
me fera en complément cette réponse définitive : « Je ne dirige pas une
secte. » Une dénégation intéressante quand on la rapporte à la certaine
clémence dont a bénéficié l’église de scientologie – c’est sa
représentante française qui le reconnaît – de la part du ministère de
l’Intérieur et des Cultes depuis que Sarkozy en a pris la tête.
N’oublions pas non plus l’admiration de Nicolas Sarkozy pour le célèbre
acteur américain Tom Cruise, VRP de la scientologie s’il en est…
Pas bête, Nicolas Sarkozy sait que son rapport à la religion
m’intéresse. « Et alors, il serait interdit de parler de religion quand
on fait de la politique ? », répond l’intéressé, en renvoyant, comme à
chaque fois qu’il est en difficulté, une question au journaliste qui
lui fait face.
Car c’est à l’époque la première fois qu’un homme politique parle ainsi
de l’intime de l’individu, de ses craintes existentielles, de sa mort,
et ce par-delà son action politique en faveur de l’intégration de
l’islam. Mais pourquoi parle-t-il ainsi de Dieu ? Celui qui se
débrouille pour serrer la main de George Bush devant un photographe
suivrait-il les leçons de son nouvel ami de la Maison-Blanche ? On sait
que Bush fait souvent appel à son Dieu pour l’aider dans sa politique,
il ne s’en cache pas. C’est d’ailleurs un argument électoral, qui lui a
sans doute donné la victoire pour son deuxième mandat. Face aux dangers
du monde, il y avait Dieu et Bush. C’est pas mal quand les électeurs
ont peur. Nicolas Sarkozy s’en défend, bien sûr, mais une fois je l’ai
vu tomber dans cette dérive dangereuse.
La scène se déroule le 5 novembre 2004, lors du baptême d’un navire
méthanier (transport de gaz liquide) sur les Chantiers de l’Atlantique
à Saint-Nazaire. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie et des
Finances, est fier d’inaugurer le méthanier Energy, un nom anglo-saxon
pour un fleuron de l’industrie française, en compagnie des élus de la
région, du P-DG d’Alsthom et de la marraine du cargo, la sprinteuse
Muriel Hurtis. Au moment où le prêtre termine sa bénédiction (c’est une
tradition), qui est censée porter bonheur au bateau et aux marins,
Nicolas Sarkozy, ministre d’État, spontanément fait le signe de la
croix, sur son front, son sternum et ses épaules. Un choc ! Jamais un
élu de la République de ce niveau-là ne s’était signé en public,
sachant en plus qu’une dizaine de caméras le filmaient. Ce jour-là,
Sarkozy venait de briser le tabou de la laïcité et de la séparation de
l’Église et de l’État.
– Sarkozy PrÉsident ! Sarkozy PrÉsident !
Sous le chapiteau, les ovations du jeune public sont bientôt couvertes
par la musique. De fait, Sarkozy est déjà Président, et il est aux
anges. Il fend la foule et parvient péniblement à s’extraire du
chapiteau chauffé à blanc, pour rejoindre la salle de presse.
Le président de l’UMP s’est installé sur une banquette de molesquine au
fond de la salle. Très vite, les journalistes se placent à ses côtés.
Autant entendre ce qu’il va dire… Nous sommes une bonne trentaine. Je
parviens à me caser juste derrière lui, à 10 centimètres. Je suis
toujours derrière, et cette fois je vois bien mes consœurs et confrères
qui cherchent le regard du responsable politique. Ce n’est pas la
ferveur de tout à l’heure, mais les regards sont quand même lumineux.
Cette proximité est le plus souvent réservée à quelques journalistes
triés sur le volet. Sarkozy est calme, reposé, il parle avec un large
sourire. Il a le teint clair, les joues pleines, l’œil vif. Je ne l’ai
jamais revu aussi détendu depuis.
– À ce jour, nous avons quatre cent douze parlementaires inscrits, et
on a passé tout à l’heure les six cents journalistes accrédités. Il
faut dire qu’il y a beaucoup de suspense dans ce congrès…
Il rit de bon cœur de sa blague, et tout le monde avec lui. Avec une
gourmandise évidente, il nous détaille le menu de la fête du lendemain,
au Bourget – « Le sacre de Sarkozy », va titrer la presse.
– Vraiment, c’est magnifique ! Il y aura une petite surprise pour les
militants, ils repartiront avec mon discours. Ce congrès va être un
succès, contrairement à ce que vous disiez il y a quelque temps. Je me
souviens d’un article de Bruno [un journaliste du Parisien], où il
disait : « Vraiment, ce Sarkozy est banalisé, ça n’intéressera plus
personne. »
Il rit encore.
– On va essayer de faire quelque chose dont les gens se souviendront. À
la fois moderne et simple. Moderne, très moderne. Vous verrez, à la
fin, j’espère que ce sera beau…
Il marque un temps, comme dans un rêve, puis se reprend :
– Bon, je suis assez heureux, pour tout dire !
À cette époque, deux ans et demi après la présidentielle de 2002, et
autant avant la suivante, Nicolas Sarkozy est au faîte de sa gloire.
Omniprésent sur le terrain, l’homme agit tous azimuts et occupe
l’ensemble de l’espace médiatique. Rien ni personne ne semble pouvoir
lui résister, à droite comme à gauche. Depuis, les choses ont changé. À
gauche, son bilan est contesté, notamment sur les chiffres de
l’insécurité ; à droite, c’est sa « rupture » avec la tradition
gaulliste et chiraquienne qui inquiète certains, autant que son
libéralisme économique.
Je pose une question.
– C’est votre fête ?
– Mais non, il ne s’agit pas de ça, ce n’est pas ma fête, me répond-il
agacé. Il ne s’agit pas de faire le parti de Nicolas Sarkozy, ça n’a
pas de sens.
Désolé. Pourtant, personne n’est dupe. Il vient de s’emparer du parti
unique de la droite, la machine de guerre imaginée par Juppé et Chirac
: l’UMP, qui doit lui servir à conquérir le pouvoir. D’ailleurs, il
reparle tout de suite de sa propre personne.
– Je vais passer une nouvelle étape de ma vie politique, qui est une
étape où je dois rassembler. Tout l’enjeu et le vrai défi pour moi,
c’est d’être libre et en même temps responsable. Et j’étais très
intéressé de voir le sondage du Figaro. C’est tout à fait à
contre-image des codes de la vie politique actuelle. [80 % des gens
disent qu’il doit rester libre.] Voilà, j’ai voulu partager ce moment,
vous avez compris que ce n’était pas une conférence de presse. Pour
moi, c’est magnifique !
– C’est tout du off ?
Une journaliste vérifie si elle peut écrire ce qu’elle vient d’entendre.
– Oh, tu parles, et puis je m’en fous. Je vais vous dire une chose, je m’en fous.
– Parce que ce n’est pas moderne ?
– Non, ce n’est pas ça, c’est parce que je pense que la vie politique…
Si moi, j’arrive à faire la différence, c’est parce que les gens, ils
disent : « Il dit ce qu’il pense. » Vous savez, l’émission de TF1 que
j’ai faite, là, mercredi. On commence à 8,2 millions de
téléspectateurs, on termine à 9 millions et demi. Ce n’est pas une
question d’arrogance, c’est une question d’authenticité. Regardez les
jeunes qui sont là, ils savent qu’il va se passer quelque chose demain.
Ils viennent là parce qu’il se passe quelque chose. Les partis
politiques ont oublié que, quand il n’y avait plus de vie, il n’y avait
plus de gens. Bon, alors, j’ai commis des erreurs, je me suis trompé,
j’étais à terre, mais j’ai toujours été sincère dans ce que j’ai voulu
faire. Ils savent qu’il y a quelque chose qui va se passer… Et vous
aussi, sinon vous ne viendriez pas. Il n’y a pas un journaliste qui dit
: « Ah, la barbe, demain il y a le congrès de l’UMP ! »
Ça y est, il a fini. La fausse vraie conférence de presse a duré
environ dix minutes et la plupart du temps Sarkozy n’a parlé que de
lui. Il s’est levé. L’opération de séduction continue, mais en plus
intime cette fois. Nicolas prend congé des journalistes les plus
influents ou de ceux qu’il préfère. Il demande des nouvelles, les
tutoie et les remercie d’être venus.
– Merci, hein ! C’est magnifique, hein ?… Où est ma femme ?… C’est magnifique, non ?
Il embrasse une blonde qui passait par là pour le féliciter.
– C’est magnifique, non ?… Où est ma femme ?
Elle est juste là, elle termine une interview en anglais pour la BBC.
Nicolas la félicite pour son excellent anglais. Ce sont parmi les
dernières images du couple avant la tempête. Cécilia a déjà rencontré
Richard Attias, un des organisateurs de la fête du lendemain au Bourget
; plus tard, on les verra en une de Paris-Match, en amoureux à New York.
Mais jusqu’ici tout va bien.
Demain la cérémonie sera grandiose et la famille Sarkozy sera à
l’honneur. Il paraît que c’est moderne de vendre sa famille en
politique. Même leur fils Louis sera mis à contribution. Sur une
dizaine d’écrans géants, le petit Louis s’adressera à son père et à la
France entière à travers les télévisions qui reprendront l’image : «
Bonne chance, papa ! » Un nouveau tabou est brisé. Mais, à sept ans, le
fils n’a pas pu vraiment donner son avis, et ce n’est pas la première
fois qu’il aura été utilisé par son père pour construire son image
politique.
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