EXCLUSIF
LaTéléLibre présente le premier témoignage d’une des familles qui
attendait un enfant de l'opération dite humanitaire de l' « Arche de
Zoé ».
Un témoignage à charge pour l’association, car le couple affirme:
"on nous a clairement laissé entendre qu’en payant 1400 euros, nous
pourrions garder l’enfant ".
Cécile et Flavian Hervy, habitants à Saint Luce sur Loire, en Loire
Atlantique cherchent à adopter un enfant depuis un an et demi. Elle est
assistante maternelle et lui colleur d’affiche. Ils déclarent avoir été
« recrutés sur un site d’adoption » par l’association « Arche de Zoé ».
Mis en confiance lors d’une réunion à Paris « qui a durée 5 heures », «
on s’est dit que c’était humanitaire, pour sauver les enfants, on s’est
dit pourquoi pas. Ils (les responsables de l’Arche de Zoé, ndlr) ont
joué sur les sentiments des personnes, énormément ! » Dans leur
pavillon, ils montrent à l’équipe de LaTéléLibre, la chambre d’enfant,
toute neuve, qu’ils ont aménagé pour recevoir « un bébé »...
Les Hervy déclarent également qu’on les a « trompés », et ils
envisagent aujourd’hui de « prendre un avocat pour demander des comptes
» aux responsables quand ils seront de retour en France. « Ca va
chauffer », précisent-ils, en colère.
Jusque là, ils n’avaient pas parlé suite aux « instructions de
l’association ». Aujourd’hui, ils s’expriment parce qu’ils craignent
d'être mêlés à cette sombre histoire, et perdre ainsi l’agrément des
services de l’adoption. « C’est très dur, on risque de tout perdre »
concluent-ils.
Reportage signé Karine Yaniv, Larbi Aarab, Matthieu Martin et Anthony Santoro.
Et voici l'article que Karine a écrit après ce reportage, qui a bouleversé toute l’équipe. Un témoignage sensible qui répond a de nombreuses questions qui surgissent après visionnage.
La chambre d’enfant était prête. Attendent encore
autour du lit de tout petit, les peluches offertes par les proches -
lions, girafes, clichés animaux- d’un continent lointain.
L’atterrissage est douloureux, pour le couple de la banlieue nantaise.
Depuis ce jeudi 25 octobre où, sur le tarmac de l’aéroport de Vatry,
dans la Marne, ils ont attendu en vain l’enfant qui devait leur être
confié. Les enfants ne viendront pas, l’opération a capotée.
LaTéléLibre les avait déjà rencontré le 26 octobre, devant l’ambassade
du Tchad, où ils sont réunis avec une partie des familles dites
‘d’accueil’. Ce jour-là, ils ne veulent pas parler.
Mais depuis ils se sentent menacés, floués, et ils se confient parce qu’ils ont peur de tout perdre.
Qu’elle, elle perde son agrément lui permettant
d’exercer son métier d’assistante maternelle. Lui, ouvrier, ne pourrait
payer le loyer, avec son seul salaire. Ils perdraient la maison. Que
leur tentative déjà amorcée d’obtenir l’agrément d’adoption se retrouve
bloquée.
C’est le fantôme d’Outreaux, aussi. Le « trafic d’organes », la «
pédophilie », tout ce qu’à dit le président du Tchad et qui a été
repris dans la presse. Non, pour eux il est important de dire non,
qu’il ne faut pas chercher de ce côté. Aujourd’hui, surtout, ils se
sentent victimes d’abus de confiance. Ils voudraient qu’on rapatrie
l’équipe en France, pour avoir des réponses. L’argent, il s’agissait
d’un don, bien sûr, mais « si on ne payait pas, on n’avait pas d’enfant
». Ils ne roulent pas sur l’or. Ils ont dû faire appel à la famille. A
un moment, ils ont été tenté d’en « prendre deux » mais financièrement,
ils ne pouvaient pas, déjà qu’ils avaient dû mettre à contribution la
famille, pour le premier. Ils se demandent, quand même, tout cet
argent… Ils ont fait le calcul. Cela atteindrait le million. Car
certaines familles ont donné plus. Ils ont des doutes. Pourtant, ils ne
cessent durant tout l’entretien de surveiller leurs mots, parfois, on
le sent, ils se rétractent, modèrent l’accusation. Quand on leur
demande si on peut aller avec eux voir sur le forum des familles
d’accueil, toujours actif, ils refusent.
Le Darfour, eux, ils ne connaissaient pas trop.
C’est plutôt ensuite, une fois qu’ils ont commencé à être tenté par
l’aventure, qu’ils ont été se renseigner. Ce qu’ils ont trouvé comme
information sur cette tragédie n’a fait que confirmer leur envie de
dire oui, à cette belle histoire qu’on leur proposait.
Ils nous montrent l’album entamé pour l’enfant à
venir. On lui parle, à cet enfant déjà chéri qu’on imagine dans la «
savane », en train de préparer son départ, quand eux préparent, ici,
son arrivée. Comme on raconte le déroulement d’une grossesse à l’enfant
à venir, on lui raconte l’espoir, né le jour où ils ont « signé », «
envoyé les papiers », et enflant à mesure, avec la convocation à Paris
en septembre, la signature du chèque, après un temps de réflexion, le
moment où on leur dit que c’est bon, qu’ils auraient un enfant à la
première évacuation, et la convocation à Valence. Le père qui tourne
les pages est sur le point de pleurer. Les photos cartes postales de
Paris, de Valence sont découpées sur les bords comme on fait de la
dentelle. Il y a une infinie tendresse, dans les poèmes, l’expression
de cette attente. Difficile de penser à mal, de dire que ça a été fait
la veille en guise de couverture…
De leur récit, se dessine les contours d’une
opération montée très vite, trop vite. Se dégage aussi le portrait d’un
leader, charismatique, une forte tête. Eric Breteau. Le couple raconte
la première réunion, à Paris : tout cela paraissait si solide. Toutes
sortes de questions avaient été posées, Eric Breteau avait réponse à
tout. La brochure détaillant les compétences de l’équipe d’encadrement
aussi les avait bluffé : avocat, commissaire aux comptes,
pédopsychiatre, médecin : c’était du solide, sur la plaquette. Tout
cela leur paraissait sérieux. Se dégage aussi les contours d’un
ensemble composé par les bénévoles de l’Arche de Zoé et la COFOD, ce
collectif des familles d’accueil, aux aspirations et aux profils
divers, ensemble devenu peut-être au fil des semaines comme une grande
tribu portée par un même souffle. Ils racontent Valence, cette deuxième
assemblée générale, la veille du départ de la délégation actuellement
sous les verrous au Tchad.
Alors bien sûr, c’est leur grande naïveté qui
frappe, et ils le reconnaissent. Ils n’ont pas tout compris, pas tout
cherché à comprendre, tellement ça leur paraissait sérieux, bien
ficelé..
Mais ce qu’on saisit aussi c’est qu’il les arrangeait sans doute de ne
pas trop chercher à comprendre. Quand on leur demande s’il n’ont pas
cherché à contacter d’autres associations plus « officielles », pour
vérification, ils bafouillent, avouent qu’ils savaient qu’il y avait
bisbille entre l’Arche de Zoé et l’UNICEF. Ou même le Quai d’Orsay. Ils
nous montrent les comptes-rendus reçus via le forum courant octobre :
récits codés, dans lesquels des membres de l’équipe sur place parlent
de ‘gazelles’ et de ‘zèbres’ au lieu de garçons et de filles. Pour
échapper aux contrôles des RG, nous expliquent-ils.
De sorte que nous ne pouvons nous empêcher de nous dire qu’en dépit de
leur déni, et au-delà de la naïveté, ils présentaient, sans pouvoir se
l’imaginer, la dimension illégale de l’aventure. N’étaient-ils pas
devenus convaincus qu’il y avait là une autre « manière » d’adopter,
risquée, certes, mais jouable, car c’était la guerre, la-bas ? Qu’une
fois les enfants transférés en France, ce serait possible, légal, de
les ‘garder’ ? Et qu’au final ce serait plus rapide, plus simple, moins
cher, qu’en empruntant les chemins dits ‘normaux’ de l’adoption ?
« Au moins il aura réussi une chose, c’est d’attirer
l’attention sur le Darfour », nous dit ce couple, à un moment, comme
dans un nouvel accès de retour à la réalité. Comme comprenant s’être
laissés embarquer dans une histoire qui celle-là n’était pas
directement la leur. L’histoire peut-être d’un petit noyau d’excités
mégalos déterminés à monter une opération médiatique en toute
connaissance des risques encourus, dans le but de sauver le monde et de
subvertir des règles jugées trop rigides. Pour montrer que tout devrait
être plus simple, si d’un côté, il y a, par milliers, des familles en
France prêtes à ‘accueillir’ des enfants du Darfour et si, de l’autre,
il y a, par milliers, des enfants en détresse au Darfour.
L’équation, cependant, n’est en réalité pas si simple.
Karine Yaniv
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